Échecs de l'adoption, réussite de la presse
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- Mis à jour le jeudi 8 septembre 2016 23:29
La presse nationale vient de rendre compte, par trois fois, d’une annonce de la Mission de l’Adoption Internationale (MAI) selon laquelle 40 enfants adoptés auraient été de nouveau abandonnés et remis aux services sociaux.
La MAI est l'autorité centrale française pour l'adoption internationale, service rattaché au Ministère des Affraires Etrangères.
- Tout d’abord, L’hebdomadaire Le Point a publié le 26 janvier 2016, sous la plume de Pascale Juilliard, un article intitulé « Les adoptions d'enfants à l'étranger à leur plus bas niveau depuis 35 ans ». On peut y lire l’extrait suivant : « Les échecs d'adoption, c'est-à-dire des cas où des enfants sont remis par leurs familles adoptives à l'Aide sociale à l'enfance (ASE), sont estimés à une quarantaine en 2015 ».
- La Croix du 27 janvier dernier, sous la plume de Denis Peiron, publie ensuite un article intitulé : « les adoptions d’enfants étrangers se raréfient en France ». On y lit que « le quai d’Orsay confirme la fin du tabou : (…) pour 2015 une quarantaine d’enfants, après avoir été adoptés, ont finalement été remis à l’aide sociale à l’enfance ».
- Avec quelques semaines de retard, qui auraient dû être propices à l’approfondissement du sujet, Le Monde publie à son tour le 2 mars, un article de Gaëlle Dupont intitulé : « Quand les adoptions tournent à l’échec ». Le sous-titre est très intéressant : « Selon le quai d’Orsay en deux ans, 2% des enfants adoptés ont été remis par leurs parents adoptifs aux services sociaux ». Dans l'article, il est encore question du fameux "tabou" qui pèserait sur ces échecs. L’article du Monde va plus loin : « (…) il reste que les exemples cités sont terribles : tel enfant de cinq ans remis à l’ASE au bout de trois mois avec ses affaires dans un sac poubelle ; tel autre renvoyé par avion dans son pays d’origine ».
Le MASF a cru que ces dernières lignes concernaient l’affaire célèbre d’une américaine renvoyant son enfant en Russie mais le cas est bien malheureusement le fait d’une famille française, comme nous l’a confirmé la MAI. N'importe quel lecteur de bonne foi en déduira qu’il s’agit d’un événement rare, mais pas exceptionnel. Nous avons questionné directement la MAI : c’est le seul cas dont ils ont connaissance pour les dix dernières années. La MAI nous a par ailleurs confirmé que les 40 échecs sont aussi sur dix ans et non pas sur deux. Le renvoi par avion dans le pays d’origine représente donc un cas, tragique, sur environ 10 000, pour rester dans les ordres de grandeur.
Echecs, tabou, cas gravissimes ?
Depuis très longtemps le sujet des échecs de l’adoption est un point régulièrement abordé en toute transparence dans toutes les associations de parents adoptifs, notamment les dix nôtres, membres du Mouvement pour l'Adoption sans Frontières (www.masf.info). Le congrès que le MASF avait organisé à Nantes en 2008 avait également permis de montrer l’intérêt et les limites des données statistiques.
Le nombre d’échecs fait partie des chiffons rouges de l’adoption depuis des lustres et de nombreux passages y ont été consacrés dans divers ouvrages, parfois pour le qualifier de secret d’état ou départemental. Or de secret il n’y en a pas puisque le chiffre précis est fourni chaque année par l’ONED (Observatoire National de l’Enfance en Danger) dans son rapport sur la situation des pupilles de l’Etat.
Si nous regardons le dernier rapport publié par l’ONED au début 2016, qui porte sur l’année 2014, nous apprenons à la page 32 que « 7 enfants ont été admis comme pupilles de l’Etat, suite à ce qui est qualifié d’échec d’adoption. »
Une information recueillie depuis 2006. En 2013, 6 enfants ont été admis suite à un échec (page 32 du rapport) et en 2012, 5 enfants (page 35 du rapport)…
Rapportés au nombre d’adoptions (nationales et internationales) de ces trois années, nous obtenons un taux moyen de 0,29%.
Consulter le rapport ONED 2014
Consulter le rapport ONED 2013
Consulter le rapport ONED 2012
Sur la qualification du terme « échec de l’adoption »
La littérature scientifique internationale a clairement distingué deux concepts, celui de « disruption », qui indique une rupture entre parents et enfants entre le placement et le prononcé définitif de l’acte d’adoption, et celui de « dissolution » qui est une rupture identique située après le jugement d’adoption.
D’où la distinction indispensable à faire entre « échec de l’adoption » et « échec du placement ». Le rapport de l’ONED sur l’année 2012 précise que 52 enfants (annexe 2-14 page 84) n’ont pas fait l’objet d’un projet d’adoption suite à un « échec d’adoption ou de placement ». Deux cas de figure bien différents qui auraient mérité d’être distingués dans deux colonnes pour ne pas prêter à confusion.
C’est ainsi que le 18 novembre 2014, lors d’un colloque organisée à Paris par la MAI (Mission de l’Adoption Internationale), Mme Grimault, de la DGCS (Direction Générale de la Cohésion Sociale) au Ministère de la Famille, avait rappelé lors de son intervention que « au 31 décembre 2012, sur 2300 enfants pupilles, 52 enfants avaient été admis suite à un échec d’adoption soit 2,2%. »
Le passage d’un nombre brut à un pourcentage n’est pas trivial pour évaluer la prévalence d’un événement, car le résultat relatif va dépendre de la population que l’on prend comme référence. Selon que l’on se réfère aux adoptions internationales de 2005 (4133 adoptions) ou de 2015 (815 adoptions), on multiplie par cinq le taux d’échecs ! Comparer les échecs répertoriés en 2015 avec les visas accordés la même année indique que ces enfants ont été remis à l’ASE dans les douze mois suivants leur arrivée en France. On ne peut que regretter que la MAI ne publie pas d’analyse de ces cas, en rapportant année par année, le nombre de ruptures et en le comparant à la date où les enfants ont été adoptés. En effet, selon que la rupture a lieu dans l’année d’arrivée de l’enfant ou quinze ans plus tard, les moyens à mettre en œuvre pour préparer les familles adoptives ne sont pas du tout les mêmes.
Laisser circuler ainsi sans réponse, dans différents média, des informations erronées, qui varient au gré des journaux, dévoile pour le moins un manque de perception des discours qui peuvent fragiliser les familles adoptives. L’article 9c de la convention de la conférence de La Haye sur la coopération en matière d’adoption internationale indique que les Autorités centrales doivent prendre toute mesure pour « promouvoir dans leurs Etats le développement de services de conseils pour l'adoption et pour le suivi de l'adoption ». La MAI serait donc tout à fait dans son rôle institutionnel en rendant public son point de vue, ses analyses et ses conclusions sur les échecs dont elle a connaissance.
Pierre Lévy-Soussan : jusqu’à 20% d’échec
Plus fort dans l’inflation des chiffres, nous avons déjà assisté par le passé à plusieurs prises de positions de ce qui est qualifié dans la presse de « certains praticiens » et notamment du « spécialiste » Pierre Lévy-Soussan. Ce dernier indiquait dans la revue Medscape en date du 2 février 2012 qu’il s’appuyait, entre autre, sur les travaux de Jesus Palacios (de l’université de Séville), pour affirmer qu’ « une dissolution du lien légal entre les parents adoptifs et l'enfant adopté a été observée dans 5 à 20% des cas ».
Après avoir posé la question à Jesus Palacios lui-même, ce dernier a été très surpris que l’on fasse dire à ses études des résultats qui n’y sont pas. Et lors du congrès ICAR5 de janvier 2016 à Auckland, ce dernier a présenté des travaux plus récents sur les échecs de l’adoption en Andalousie, en étendant sa définition du terme échec au-delà du strict retour des adoptés aux services sociaux en charge de l’enfance, pour arriver à une estimation de 1,23%, ce qui lui semble déjà beaucoup si on considère que cela fait un cas sur 70.
Cette inflation, toute regrettable qu’elle soit, n’aurait pas l’impact qu’elle a sans l’effet résonnant d’une société qui amplifie ce qu’elle a envie d’entendre. Et malheureusement, ce qu’elle a envie d’entendre aujourd’hui c’est que l’adoption notamment internationale, ce n’est pas une bonne solution pour les enfants et que l’on est marqué à vie par ses origines. L’intérêt des enfants n’étant plus qu’ils trouvent une famille mais qu’ils restent dans leur pays. Ces articles, ces prises de position personnelles et surtout institutionnelles sont le révélateur d’un inconscient collectif : la filiation adoptive est malheureusement vue aujourd'hui comme une filiation de second rang.