TRIBUNE : LES MOTS ONT-ILS ENCORE UN SENS ?
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- Mis à jour le samedi 20 janvier 2024 23:21
NOUS N'AVONS COMMIS AUCUNE VIOLATION DES DROITS HUMAINS ET NOUS REFUSONS TOUT AMALGAME OU ASSIMILATION DE L'ADOPTION INTERNATIONALE A UN GENOCIDE OU A UN CRIME CONTRE L'HUMANITE.
TRIBUNE : LES MOTS ONT-ILS ENCORE UN SENS ?
NOUS N'AVONS COMMIS AUCUNE VIOLATION DES DROITS HUMAINS ET NOUS REFUSONS TOUT AMALGAME OU ASSIMILATION DE L'ADOPTION INTERNATIONALE A UN GENOCIDE OU A UN CRIME CONTRE L'HUMANITE.
Le MASF (Mouvement pour l’Adoption Sans Frontières) et ses membres, associations de parents adoptifs et d’adoptés par pays d’origine, après avoir, depuis des mois, subi de plein fouet le tsunami médiatique criminalisant l’adoption internationale dans son ensemble et assimilant plus ou moins explicitement adoption internationale et pratiques illicites, dans un déchaînement lexical hallucinant qui mêle tout à la fois des termes comme « enlèvement », « trafic ou traite d’enfants »,« néo-colonialisme », « disparition forcée », « déportation », et même « apartheid », ont pris connaissance avec stupéfaction de la Déclaration des instances onusiennes relative à l’adoption internationale illégale, susceptible, selon elle, « dans certains cas prévus par le droit international, de constituer un crime grave tel que celui de génocide, ou un crime contre l’humanité ».
Mais de quoi parle-t-on ici ?! Les fonctionnaires onusiens eux-mêmes le savent-ils seulement ? Savent-ils que le concept de « crime contre l’humanité » a fait son apparition au Procès de Nuremberg où 22 criminels nazis furent jugés, entre 1945 et 1946, pour avoir organisé l’extermination systématique des Juifs d’Europe ? Savent-ils que c’est un juriste juif polonais du nom de Raphaël Lemkin -dont toute la famille a été exterminée à Auschwitz- qui a inventé le mot « génocide », lequel fera son apparition à Nuremberg dans l’acte d’accusation ? Du mot grec « génos » (ethnie, race), suivi du suffixe « cide » (du verbe latin « caedere » : tuer), le « génocide », y était défini ainsi : « … l’extermination préméditée et systématique de groupes raciaux et nationaux parmi la population civile de certains territoires occupés, afin de détruire des races ou classes déterminées de populations et de groupes nationaux, raciaux ou religieux, particulièrement les Juifs, les Polonais, les Tziganes et d’autres… ».
En 1946, le génocide fut pour la première fois reconnu comme un crime de droit international par l'Assemblée Générale des Nations-Unies et en 1948, érigé en crime autonome dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, à laquelle participait Raphaël Lemkin. Depuis lors, la reconnaissance officielle par l’ONU du génocide des Arméniens (1915), de celui des Juifs d’Europe (avant et pendant la 2nde Guerre mondiale) et de celui des Tutsis au Rwanda (1994), interroge également le passé d’autres pays qui se sont construits sur l’esclavage et la ségrégation, ou sur l’extermination des peuples originaires.
L’écrivain et avocat international, Philippe Sands, spécialisé dans la défense des droits humains et auteur de Retour à Lemberg (Ed. Albin Michel) conclut ainsi son remarquable travail de mémoire autour du Procès de Nuremberg : « Prouver le crime de génocide est difficile, et comme j’ai pu moi-même le constater dans les cas que j’ai plaidés, administrer la preuve de l’intention de détruire un groupe ou une partie du groupe, comme l’exige la Convention sur le Génocide, peut avoir des conséquences psychologiques malheureuses… ».
Les conséquences de la Déclaration onusienne sont en effet, pour les familles adoptives françaises de nombreux enfants originaires de divers pays, malheureuses et même dévastatrices, car de nature à jeter la suspicion et l’opprobre sur l’ensemble des adoptions internationales, faisant de chaque parent par l’adoption un présumé coupable et de chaque enfant adopté une possible victime ! La sphère médiatique, abondamment irriguée par cette réécriture de l’Histoire de l’adoption internationale, n’aura pas été longue à s’en emparer pour instrumentaliser le nouveau discours de ceux qui, pour des raisons souvent très éloignées les unes des autres, cherchent à éradiquer pour de bon l’adoption internationale. Celle-ci, jadis parée de toutes les vertus, y compris avec une dimension parfois humanitaire, comme ce fut le cas après les guerres de Corée et du Vietnam, se retrouve ainsi soupçonnée des pires atrocités, et désormais marquée au fer rouge de huit lettres jusqu’alors destinées à qualifier massacres et crimes de masse : G.E.N.O.C.I.D.E !
Comment faire face à une accusation aussi grave qui transforme le regard de toute une société sur l’adoption internationale dans son ensemble ? Comment retrouver la fierté d’une institution qui a toujours affirmé que le premier droit d’un enfant délaissé est le droit à l’amour et à la protection d’une famille, le droit à l’enfance ? Comment redonner aux mots tout leur sens, face à cette stigmatisation ?
Nous n’avons commis aucune violation des droits humains. Aussi avons-nous aujourd’hui le devoir de faire, à notre tour, entendre nos voix, afin de témoigner le plus largement possible de la transparence de la grande majorité des adoptions internationales, et du respect de la légalité qui fut la règle absolue pour chacun(e) d’entre nous -que ce soit par démarche individuelle ou via un organisme habilité-, les pratiques illicites étant l’exception.
Il en va de l’honneur de nos membres, adoptants ou adoptés.
En conclusion : nous espérons vivement que les différents responsables institutionnels de notre pays, en charge de l’adoption internationale, voudront bien examiner la demande que nous leur adressons ici de réagir officiellement au 4e alinéa de la Déclaration de l’ONU qui nuit gravement à l’image de l’adoption internationale en associant celle-ci à un acte génocidaire ou à un crime contre l’humanité. Cette assimilation verbale, avec peut-être ses conséquences judiciaires futures, est pour nous inacceptable. C’est pourquoi nous tenons à la réfuter publiquement en prenant aujourd’hui la parole, afin que l’adoption internationale puisse poursuivre sa route sereinement, aussi longtemps qu’il y aura, de par le monde, des enfants privés de famille, oubliés, croupissant dans des foyers ou des orphelinats et qui n’auront pu bénéficier, dans leur pays, d’un projet familial. Car c’est bien la première fois que se trouve aussi gravement mise en cause, cette chaîne extraordinaire qui se noue entre les pays, par-delà les frontières crées par les hommes, lorsqu’un enfant n’a personne pour l’aimer et prendre soin de lui, cette chaîne que l’on appelle « Adoption Internationale » !
PARIS, le 20 janvier 2024
Le MASF (Mouvement pour l’Adoption Sans Frontières)
et les Associations Par Pays d’Origine qui le composent :
AFAENAC (Association des Familles Adoptives d’Enfants Nés Au Chili)
AFAENAM (Association des Familles Adoptives d’Enfants Nés A Madagascar)
APAEC (Association des Parents et Adoptés En Colombie)
APAEG (Association des Parents Adoptifs des Enfants du Guatemala)
APAER (Association des Parents Adoptants En Russie)
ARALIYA (Association des Parents qui ont adopté des enfants au Sri-Lanka)
Association SOURIRES du NEPAL (Association de Familles Adoptives d’Enfants Nés au Népal)
Association Les GRAINS de RIZ (Vietnam)
Association PETALES de la ROSE BULGARE (Bulgarie)
Association RACINES THAILANDAISES (Thaïlande).